En 2021, une table ronde consacrée à l’énergie hydraulique réunissait autorités fédérales, représentants de la branche et associations environnementales pour répondre aux besoins d’approvisionnement énergétique de la Suisse. La table ronde a identifié 15 projets hydroélectriques qui devraient permettre d'augmenter la production saisonnière d'environ 2 TWh, un 16e projet ayant été ajouté par la suite. Les actuelles discussions politiques ont remis ce sujet dans l’actualité. Les deux chambres du Parlement suisse ont débattu intensément de la question du droit de recours des associations environnementales dans le cadre de la loi sur l’accélération des procédures, visant à accélérer le développement des projets hydroélectriques. Un compromis politique a finalement été trouvée avec notamment la proposition que le tribunal cantonal statue en dernière instance sur les recours concernant les projets de la Table ronde. Un recours devant le Tribunal fédéral est exclu et ainsi atteint le but d’accélérer les procédures. Nous faisons le point sur les projets d’Alpiq avec Michaël Plaschy, Chef Hydro Power Suisse.
Michaël Plaschy, une décision politique importante pour une accélération des procédures pour les projets de cette table ronde vient d’être décidé par le parlement suisse. Quelle influence aura-t-elle sur les projets d’Alpiq notamment ?
Michaël Plaschy : Pour nos projets, il était important d’avoir une décision et cette solution nous permet finalement d’aller de l’avant, de continuer leur développement dans un cadre défini par le politique dans le but de répondre à l’urgence d’améliorer l’approvisionnement du pays, notamment en hiver. Cette loi prévoit des allégements spécifiques. Par exemple, les mesures de compensation supplémentaires demandées aux 16 projets de la table ronde peuvent être traitées indépendamment de l’autorisation du projet lui-même. Cette modification entérine aussi la possibilité de négocier un avenant à une concession existante avec les communes concédantes et non une nouvelle concession. L’avenant à la concession doit en outre s’appliquer explicitement aux nouveaux barrages, ce qui est particulièrement important pour le projet Gornerli.
Quels sont précisément les projets d’Alpiq concernés par cette table ronde ?
Nous développons trois projets issus de cette Table ronde, à savoir un nouveau barrage au Gornerli au-dessus de Zermatt, sous la direction de Grande Dixence SA, et deux rehaussements de barrage existants, ceux de Moiry et Emosson en Valais également.
Incontestablement le projet Gornerli est le plus important …
Clairement ! C’est une nouvelle infrastructure qui s’insère dans le vaste réseau de la Grande Dixence. De cette manière, le réservoir d’eau sera en fait une véritable batterie énergétique saisonnière. Ce projet permettra d’apporter jusqu’ à 1/3 des 2 TWh de l’ensemble des projets de la Table ronde. C’est ce qui en fait le projet majeur de l’approvisionnement énergétique du pays.
Quelle est le principal intérêt de ce projet ?
La Suisse exporte aujourd’hui une partie de sa production en été, mais elle doit en importer durant l’hiver pour répondre à la demande. L’enjeu est de réduire ces importations saisonnières en répondant aux besoins du pays avec une production supplémentaire. Cet objectif a été formalisé par la Table ronde et dans ce cadre le Gornerli apportera la plus grande contribution de tous les projets, renforçant la sécurité de l’approvisionnement du pays en hiver. Le nouveau barrage permet de stocker l’eau durant le printemps et l’été - période de fonte - pour produire de l’énergie des mois plus tard, et ainsi répondre à la demande de consommation du pays. L’intégration dans le réseau de la Grande Dixence, couvrant une centaine de kilomètres, lui apporte également une grande flexibilité.
Aujourd’hui, lorsqu’on parle barrage, on associe le terme de multifonctionnalité. Est-ce que cela sera le cas pour celui du Gornerli ?
Bien sûr ! C’est parfois un élément que les gens ont parfois de la peine à réaliser, mais cette utilisation multiple de l’eau est devenue une réalité, qui se renforcera encore avec le changement climatique. Si dans l’imaginaire collectif, le barrage sert à produire de l’énergie, il devient de plus en plus un élément de protection et de gestion de l’eau. En effet, en plus de son apport important à la production d’énergie hivernale, le barrage de Gornerli apportera une contribution conséquente à l’augmentation de la sécurité contre les crues, non seulement pour Zermatt, mais aussi pour la toute la vallée du Mattertal. Une marge supplémentaire est d’ailleurs prévue pour pouvoir retenir les eaux du bassin versant de la Gornera, même si le lac devait être rempli. D’autre part, avec le réchauffement des températures, les régions de montagne devront plus souvent faire face à des périodes de sécheresse. Le nouveau lac permettra en plus d’assurer un approvisionnement en eau potable pour la population, mais aussi pour l’agriculture, l’industrie ou le tourisme de toute la vallée.
A quel stade de développement se trouve ce projet aujourd’hui ?
Les analyses géologiques et structurelles en lien avec l’implantation du barrage sont réalisées. Des études spécifiques sont en cours par des glaciologues, des hydrologues et des spécialistes des dangers naturels afin d’avoir une vision complète et précise du site. Le concept logistique est également en cours d’élaboration. Nous sommes également en train d’élaborer la demande pour l’obtention du permis de construire et l’étude d’impact sur l’environnement qui devraient être déposé durant le premier semestre 2026. Parallèlement nous discutons avec les différentes parties prenantes – à savoir Canton, Communes, ONG environnementales, représentants des milieux de la montagne - afin de trouver une solution notamment pour les compensations environnementales. Nous venons également d’entamer les discussions avec les Communes concédantes afin de définir une convention sur les valeurs résiduelles, en lien avec le retour de concessions qui interviendra en 2044, ainsi qu’un avenant à la concession. La mise en service de ce nouveau barrage devrait avoir lieu dans la première moitié des années 2030.

À notre avis, Zermatt, le Valais et la Suisse profiteront tous du projet Gornerli.
Le projet Gornerli suscite également des critiques, notamment de la part de guides de montagne de la région de Zermatt. Comment réagit Alpiq à cela ?
Nous sommes conscients que le Gornerli est un projet ambitieux. Il doit d'abord passer par une longue phase d'autorisation avant de pouvoir être réalisé sous la supervision des différentes instances de la Confédération. Sa construction aura néanmoins des répercussions sur la zone d’implantation et le paysage. Nous prenons donc très au sérieux les avis des guides de montagne, tout comme ceux des défenseurs du paysage et de l'environnement. Nous dialoguons avec eux afin de trouver des solutions et renforcer son acceptation. Mais le Gornerli – comme d'autres grands projets d'infrastructure – soulève également une question fondamentale : quelle importance donne-t-on à l'intérêt général et quelle influence les intérêts particuliers doivent-ils avoir ? À notre avis, Zermatt, le Valais et la Suisse profiteront tous du projet Gornerli.
Et qu’en est-il des deux rehaussements prévus ?
Pour Moiry, les analyses techniques et statiques ont été réalisées. Le rehaussement du barrage se situera entre 8 et 10 mètres avec une augmentation de la capacité de production d’environ 50 GWh. Ce rehaussement peut être effectué dans le cadre de la concession actuelle. Pour Emosson, sa situation binationale rend évidemment les procédures plus complexes. En effet, la concession n’est pas communale, ni cantonale, mais nationale. Ce qui implique que des discussions doivent avoir lieu entre la France et la Suisse. Et un rehaussement doit évidemment trouver une solution des deux côtés de la frontière. Des analyses techniques sont toujours en cours de réalisation, mais ce rehaussement devrait apporter une capacité de production hivernale de 116 GWh, dont la moitié pour la Suisse. Une fois le permis de construire obtenu, ces deux projets pourraient contribuer à renforcer la sécurité d’approvisionnement énergétique dans un délai de 3 à 4 ans, temps nécessaire à la construction de la surélévation.